Opinel change de territoire sans perdre son âme


Opinel
Le fabricant savoyard s’est invité avec succès dans les cuisines et les salles à manger avec une nouvelle gamme de son célèbre couteau.

Sacrilège ! L’inamovible Opinel qui, en 120 ans d’existence, s’enorgueillissait de n’avoir jamais changé quoi que ce soit à sa légendaire simplicité (un manche, une lame), est maintenant équipé d’un… tire-bouchon ! Nichés au cœur de la Savoie, les descendants de la famille Opinel seraient-ils en train de transformer leur canif en imitation du couteau suisse de Victorinox ? Non, mais ce clin d’œil au célèbre concurrent masque une mutation plus profonde : jusque-là confiné dans l’établi du grand-père bricoleur ou dans la besace du montagnard amateur de saucisson, l’Opinel s’invite aujourd’hui dans les cuisines et les salles à manger des citadins. Denis Opinel, l’arrière-petit-fils du fondateur, a décidé de se lancer sur le marché des arts de la table.

Contre l’avis général. La raison de cette extension de gamme ? L’essoufflement des ventes de couteaux de poche qui touche le fabricant savoyard. Cette incursion sur un territoire inconnu se révèle payante. Sortie il y a quatre ans, la nouvelle gamme représente déjà 15% du chiffre d’affaires 2008 (9,7 millions d’euros), en augmentation de 14% par rapport à 2007. Le lancement récent d’une petite – mais dynamique – ligne jardinage a aussi contribué à cette croissance. Le couteau à champignon, avec sa brosse en soie de sanglier pour enlever la terre, s’arrache à 50 000 exemplaires par an, notamment au Japon.

Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. Chargés de plancher sur une éventuelle diversification de la marque au début des années 2000, les cabinets de conseil en stratégie recommandaient de ne pas sortir du créneau sport et nature. L’ESC Reims a même pondu un rapport en 2005 enjoignant de ne rien fabriquer d’autre que du couteau pliant. Un seul audit envisageait le segment des couteaux de table, mais déconseillait celui des couteaux de cuisine, saturé par la concurrence bon marché.

Denis Opinel a pourtant relevé le défi. «Après tout, il ne s’agit que d’un retour aux sources !» affirme-t-il avec un grand sourire. Certes, mais en 1955, quand l’entreprise faisait encore dans la fourchette à viande, le manche à gigot et le couteau de boucher, les marques d’import et de distributeurs n’existaient pas. Aujourd’hui, la PME de 80 salariés doit se tailler une place aux côtés des géants français du secteur (Nogent, Pradel, Sabatier), des allemands (Zwilling, Wüsthof), des japonais (Kasumi, Haiku) et de la distribution spécialisée (Ikea, Habitat…).

Pour y parvenir sans déboussoler ses clients habituels, le fabricant a truffé ses nouveaux couteaux de références à l’Opinel historique : les manches sont toujours en bois d’ébène, de bouleau, de hêtre ou d’olivier, les lames restent frappées du symbole de la main couronnée et les couteaux de table sont équipés de la fameuse bague à la jonction de la lame et du manche. Les similitudes s’arrêtent là. Les couteaux de la gamme cuisine et table ne sont pas pliants ; leur manche, au profil joliment effilé et parfois coloré, est verni afin d’autoriser le passage en machine. Enfin, plusieurs modèles sont disponibles : le numéro 117 à bout arrondi permet de tartiner, le 112 d’émincer et de trancher, le 113 de couper les kiwis et le 115 est un économe.

En termes de prix, il a aussi fallu trouver le juste milieu. «Impossible de rivaliser avec les tarifs ultracompétitifs des grandes enseignes comme Ikea», explique Denis Opinel. Pas question non plus de talonner les Nontron et autres Laguiole, positionnés sur un segment luxe. La moyenne gamme s’imposait donc : les prix des couteaux de cuisine sont calqués sur ceux des canifs (autour de 7 euros), tandis que les modèles de table s’achètent entre 15 et 30 euros pièce.

Un packaging plus élégant. En augmentant ainsi le nombre de ses références, Opinel apporte une source de revenus supplémentaires à son réseau de distribution attitré : les Relais Opinel, une chaîne d’une centaine de boutiques disséminées en France. Les petits nouveaux y font fureur. «Les ventes des couteaux de table sont passées devant celles des pliants», témoigne le vendeur du Relais Opinel de Chambéry. Les éplucheurs rouges et les couteaux à pain au manche en hêtre ont également fait leur entrée au rayon maison des Galeries Lafayette, au BHV, au Bon Marché, ainsi que dans les chaînes furieusement tendance de boutiques de cuisine Alice Délice et Treize à table. Avec un amusant effet boomerang. «En adoptant nos couteaux de table, ces magasins ont redécouvert nos couteaux de poche, qu’ils trouvaient jusque-là un peu ringards !» constate Luc Simon, le directeur commercial, ravi de pouvoir enfin sortir ses canifs des tabacs, des armureries et des magasins de sport où ils étaient cantonnés.

Mais on ne passe pas impunément du Salon de l’agriculture à celui de Maison&Objet. Opinel a découvert que, pour séduire un public plus jeune et plus féminin, il lui fallait faire un effort sur le packaging. Les couteaux de cuisine sont donc présentés par lots de quatre dans de jolis coffrets cartonnés, tandis que les couteaux de table ont droit à d’élégantes boîtes en métal. Exit les grossiers emballages en carton qui enveloppent traditionnellement les Opinel de poche.

Esprit artisanal. En amont, la mise au point de cette nouvelle ligne a conduit à rationaliser l’outil de production. Depuis le début 2009 et jusqu’en 2012, les cadres de l’entreprise recevront une formation en «lean management», cette méthode qui associe les collaborateurs à l’amélioration de la performance. «On y aborde tous les aspects liés à notre gamme cuisine et table : la gestion de nouveaux sous-traitants, le respect de délais plus courts, l’adoption d’une démarche R & D, la notion de satisfaction client», explique Françoise Detroyat, la directrice marketing.

De belles ambitions qui n’empêchent pas Denis Opinel de rester modeste, fidèle à l’esprit artisanal qui a fait le succès de sa famille. Dans le bâtiment qui abrite l’atelier de vernissage des manches de couteaux, le visiteur s’étonne de la rusticité du procédé : les morceaux de bois tournent dans de vieilles bétonneuses, on ajoute le vernis à la main. Denis concède : «C’est un peu rudimentaire, je vous l’accorde. Mais ça fonctionne. Alors....

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